Entre tradition et modernité : L'application du droit musulman en Thrace dans un contexte européen en mutation
Georgios Karantzios  1@  
1 : Doctorant contractuel
Université Paris-Panthéon-Assas (Institut Michel Villey)

Une partie des citoyens grecs vivant en Thrace sont des musulmans, bénéficiant de droits de minorité religieuse principalement en vertu du traité de Lausanne (1923). Malgré ses divisions ethniques internes (Turcs, Pomaks, Roms), le principal élément unificateur de la minorité est la religion commune, qui a formé une identité culturelle minoritaire homogène. En effet, la conscience collective de la minorité est principalement guidée par le théisme moral de l'Islam et la tradition locale qui s'est développée. L'adhésion aux injonctions du Coran et le respect des coutumes apparaissent comme des valeurs fondamentales dans la vie d'un musulman. C'est pourquoi, depuis plus de cent ans, le législateur grec réglemente certains aspects de la vie interpersonnelle des musulmans sur la base de leur droit religieux (avec la dernière loi 4511/2018). L'étude des raisons de l'établissement et du maintien de règles familiales et successorales religieuses spécifiques est un problème juridique sérieux, qui conserve une fascinante intemporalité en raison de son caractère étranger aux systèmes juridiques sécularisés du droit continental.

Cette étude tente donc d'esquisser les aspects clés du fonctionnement du droit musulman et de son intégration dans l'ordre juridique étatique. Tout d'abord, elle analyse les raisons politiques qui ont contribué à l'institutionnalisation du droit musulman et, en particulier, la nécessité d'intégrer harmonieusement un groupe religieux dans l'ordre juridique de l'État (rappelons que la Thrace a été incorporée au territoire grec en 1920). La portée objective du droit sacré et les incompatibilités qui ont été identifiées dans le domaine de la protection des libertés fondamentales au niveau constitutionnel et supranational, notamment en ce qui concerne l'égalité des sexes, le droit au divorce et les partages successoraux injustes, sont ensuite énumérées. En outre, l'étude présente la décision de la Cour européenne des droits de l'homme « Molla Sali c. Grèce » (2020), qui a constitué une étape décisive dans la réforme de l'application du droit musulman en Thrace, avec une tendance évidente à la sécularisation de la minorité, en conformité avec les normes européennes sur l'autonomie et la liberté de la volonté de la personne dans les affaires privées. Enfin, quelques considérations sont présentées sur les perspectives du droit musulman dans une minorité qui adhère de plus en plus aux valeurs européennes.

En tout état de cause, l'étude du sujet est marquée par un contraste axiologique. D'une part, le statut officiel de minorité exige le respect (et pas seulement la tolérance) de l'identité de la minorité, c'est-à-dire de l'organisation religieuse de la vie familiale. D'autre part, dans un État de droit, le traitement discriminatoire d'une partie de la population compromet l'exigence d'égalité, car il peut porter atteinte à la dignité humaine et aux libertés fondamentales dont jouissent tous les citoyens sans exception (quelles que soient leurs convictions religieuses). On se trouve donc face à un compromis peut-être inévitable : la nécessité de renforcer effectivement les liens qui tissent l'identité du groupe minoritaire doit se concrétiser parallèlement par la participation égale de ses membres à la vie sociale, politique et économique de l'État séculier.


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