Cette communication explore la résurgence des cultes polythéistes en Grèce et en Italie, un phénomène révélateur des transformations profondes du paysage religieux européen, qui s'intègre dans un mouvement plus largement étudié sous le terme de “néopaganisme”. Elle met en lumière un regain d'intérêt pour les spiritualités alternatives et une redéfinition des affiliations religieuses. S'appuyant sur une recherche ethnographique menée depuis 2021, cette étude se concentre sur deux groupes polythéistes contemporains : le Conseil Suprême des Hellènes Ethniques (YSEE) en Grèce et Pietas Comunità Gentile en Italie. Elle analyse comment ces groupes réinterprètent et réactivent les traditions de l'Antiquité gréco-romaine dans des sociétés encore fortement influencées par le christianisme, mais où la sécularisation progresse.
Depuis les années 1990, ces groupes revendiquent un retour aux cultes antiques, réinterprétant les mythes et rituels pour répondre aux défis spirituels et identitaires du monde contemporain. Loin d'être une simple nostalgie du passé, cette résurgence s'inscrit dans une quête de sens, de valeurs et d'enracinement culturel, en opposition à l'hégémonie des religions monothéistes dominantes – l'orthodoxie en Grèce et le catholicisme en Italie. Ces mouvements, bien que minoritaires, interrogent les normes religieuses établies et redéfinissent les frontières entre patrimoine culturel et religion vernaculaire contemporaine.
L'un des aspects centraux de cette étude est l'analyse des stratégies déployées par ces groupes pour obtenir une reconnaissance juridique et institutionnelle. En Grèce, l'YSEE a été officiellement reconnu comme culte en 2017, une victoire symbolique qui contraste avec la situation de Pietas en Italie, où le groupe reste une association à but non lucratif, en attente de reconnaissance religieuse. Ces différences reflètent les contextes politiques et religieux distincts de chaque pays, ainsi que les tensions entre laïcité, religion d'État et gestion du pluralisme religieux.
Cette communication examine également comment ces acteurs religieux minoritaires négocient leur place dans l'espace public, où ils sont souvent stigmatisés. Par des rituels publics, des revendications patrimoniales (accès aux sites sacrés antiques) et l'organisation de séminaires pédagogiques, ils cherchent à légitimer leur existence et à s'affirmer comme des acteurs culturels et spirituels à part entière. Leur démarche s'inscrit dans une dynamique transnationale, notamment à travers leur participation à l'European Congress of Ethnic Religions (ECER), une organisation fondée en 1998 qui milite pour la reconnaissance des "religions ethniques" en Europe. La création récente de l'association "Union Gréco-romaine" intitulée “Mesogeios/Méditerraneum” en 2023 illustre cette volonté de coopération et de solidarité entre communautés polythéistes à l'échelle européenne.
Enfin, cette communication interroge les implications sociales et politiques de ces mouvements. En cherchant à réactiver des traditions antiques, ces groupes proposent une alternative spirituelle qui questionne les cadres religieux dominants et redéfinit les rapports entre passé et présent. Leur existence soulève des questions cruciales sur la gestion de la diversité religieuse en Europe et les défis posés par l'émergence de nouvelles formes de spiritualité.